Réflexions sur la constitutionnalisation de l’Etat d’Urgence

GyrophareRéflexions sur la constitutionnalisation de l’Etat d’Urgence

Fog of War : Dans le brouillard des attentats du 13 novembre 2015, j’ai soulevé des questions sur la politique de sécurité de la France. Après avoir conspué le Gouvernement sur son amateurisme affiché en matière de sécurité, m’être interrogé sur la question de savoir si nous étions encore gouvernés, J’écrivais en Décembre mon inquiétude mais ma certitude face à la nécessité de décréter l’Etat d’Urgence (Etat d’Urgence ou Abus de Droit).

Depuis cet article, je n’ai pas eu le temps de revenir sur la situation, qui a évolué à une vitesse exceptionnelle. Ainsi, l’Etat d’Urgence s’est-il installé de manière évidente, le législateur l’ayant renouvelé pour 3 mois et manifestant clairement son intention de le maintenir.

Institutionalisation de l’Etat d’Urgence : A présent, l’Etat d’Urgence est en voie de s’institutionnaliser et de se constitutionnaliser. La proposition de loi du Gouvernement Valls sur l’Etat d’Urgence (loi dite de Protection de la Nation), qui a forcé le départ de Mme Taubira, est symptomatique de cette situation où les partis réputés démocratiques ont du mal à comprendre les enjeux réels qui se posent à la France.

En effet, le projet de Loi adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale à l’issue d’un vote où les deux-tiers des députés ont préféré s’abstenir, est symptomatique du conflit entre la nécessité de défendre les libertés publiques et celle tout aussi forte de protéger la population civile et de donner au Gouvernement des moyens de lutte rapides et efficaces (perquisitions administratives, assignation à résidence…).

Pourtant il est envigeageable que ce projet de réforme constitutionnelle ne soit en définitive jamais adopté, tant la méthode employée par Hollande et son gouvernement est inadaptée.

Explication:

Un débat parlementaire tronqué: Le version finale du texte adopté, à 1h du matin, sur l’Etat d’Urgence, l’a été sans débats suffisants, sur la base d’un amendement gouvernemental rajouté après cloture du vote du texte de l’article 1, alors que la majorité des intervenants reconnaissait que cette nouvelle version imposée par le Gouvernement était déplorable en termes de préservation des droits et des libertés publiques.

Affaiblissement du contrôle parlementaire : Ainsi, alors qu’il est prévu que le Parlement se réunisse de plein droit et qu’il ait un contrôle permanent sur l’Etat d’Urgence, il lui a été retiré la possibilité de voter la censure du gouvernement, alors même que le gouvernement conserve le pouvoir dissoudre le parlement!

Cette situation est ubuesque et abérrante. Et l’on tremble à l’idée d’envisager l’usage que pourrait faire un gouvernement non-républicain, ayant des idées liberticides, d’un tel pouvoir. Décrêter l’Etat d’Urgence et ne jamais pouvoir être censuré par l’Assemblée Nationale. Autrement dit, ne plus avoir de comptes à rendre, tout en conservant l’apparence de la constitutionalité et donc du respect de la loi!

LE texte adopté en première lecture est donc celui-ci:

Après l’article 36 de la Constitution, il est inséré un article 36-1 ainsi rédigé :

« Art. 36-1. – L’état d’urgence est décrété en Conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

« La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements.

« Pendant toute la durée de l’état d’urgence, le Parlement se réunit de plein droit.

« L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. Les règlements des assemblées prévoient les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle la mise en œuvre de l’état d’urgence.

« La prorogation de l’état d’urgence au delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée, qui ne peut excéder quatre mois. Cette prorogation peut être renouvelée dans les mêmes conditions. »

 

Un droit « Flou » : Autre critique de cette constitutionalisation de l’Etat d’Urgence: les conditions de déclenchement sont floues: un « Péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public », ou un « événement entraînant une calamité publique ».

En effet, le péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public n’est pas défini ni codifié dans la loi constitutionnelle. Or, l’Etat d’Urgence n’est pas déclenché par un « vote », ni par une constatation objective, mais par une décision gouvernementale décidée en Conseil des Ministres. Le seul contrôle possible serait, en référé, celui de la suspension-annulation du décret instaurant l’Etat d’Urgence, devant le Conseil d’Etat.

Mais quel serait le critère de contrôle du Conseil d’Etat?

La loi constitutionnelle attribuerait en effet un pouvoir discrétionnaire au Gouvernement pour décréter ou ne pas décréter l’Etat d’Urgence. Le seul contrôle serait celui du déclencheur, la situation du péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, ou de la calamité publique.

Que serait un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public »? Ce critère n’est pas défini. Il est soumis à la sensibilité du Gouvernement, qui pourra y voir, au choix:

  • une situation de guerilla terroriste armée dans Paris,
  • une manifestation violente,
  • une situation insurrectionnelle contre l’ouverture d’un aéroport régional,
  • une situation de multiplication de fusillades dans la ville de Marseille,
  • le blocage d’infrastructures portuaires ou ferroviaires par des grévistes (Marseille) ou des étrangers en situation irrégulière (Calais),

Comme on le voit, la faiblesse de la définition permet de passer de la défense contre le terrorisme (armée ennemie de l’intérieur) à des situations de crime organisé, ou plus simplement à des revendications catégorielles.

Rappelons que des manifestations ont déjà été interdites à Paris pour des raisons d’ordre public. Notamment parce que la sécurité des manifestants n’était pas garantie. Quel sera désormais le droit opposable garanti aux opposants politiques ou aux revendications catégorielles légitimes? Il est légitime de craindre qu’un mauvais gouvernement, soucieux d’imposer ses vues par la force, fasse interdire toute expression dissidente. Laquelle expression dissidente sera, de fait, un trouble à l’ordre public. Mais la résistance à l’opression est, par définition, un trouble à l’ordre public. Ainsi, le seul critère du trouble à l’ordre public est-il insuffisant pour valider le recours à l’Etat d’urgence. Toute expression publique porte en elle une capacité de trouble à l’ordre public. Il faut impérativement que la loi constitutionnelle règle le curseur de la gravité de l’atteinte à l’ordre public.

Quand à l’imminense du péril, là encore, le critère reste flou, et permet de nombreuses interprétations extensives. Le péril imminent resulte-t’il d’une déclaration d’un opposant ou d’un acte concret constaté? La simple existence d’ennemis radicaux qui manifestent leur volonté de détruire la France suffit-elle à justifier la notion de péril imminent? On est frappé de voir à quel point ce rédactionnel est différent de celui utilisé pour la légitime défense (péril actuel). L’imminence du péril s’oppose à son caractère actuel.

Deuxième critère alternatif, l’événement créant une calamité publique. Là on approche d’une situation objective. Si ce n’est que la calamité publique peut être ressentie de plusieurs manières selon les gouvernements:

  • l’afflux massif d’immigrés
  • un accident ferroviaire ou aérien important
  • une catastrophe naturelle, touchant une population importante,
  • une vague d’attentats

La calamité publique n’étant pas définie, elle peut être de nature « sanglante », (mort d’hommes), ou économique. (crise de la vache folle, fermeture des centres d’approvisionnement en pétrole, …).

Faut-il vraiment donner les pleins pouvoirs à un gouvernement mal intentionné, sur la base de critères aussi flous? Je ne le pense pas. Je pense au rebours que le droit actuel peut suffir, sous réserve de légères améliorations pour assurer une effectivité des pouvoirs de police administrative ou judiciaire. Je pense qu’il est possible d’attribuer au Gouvernement des moyens d’action renforcés, sans pour autant tomber dans le risque de l’Etat d’Urgence. Mon article suivant l’explique.

Je pense surtout qu’il ne faut pas constitutionnaliser des droits ambigües et floues, qui pourraient être dévoyés à la première occasion par un gouvernement pétri de mauvaises intentions.

Mais en définitive, s’il faut vraiment constitutionnaliser ces droits, alors il est indispensable d’adopter une rédaction très stricte, éliminant toute ambiguïté, et prévoyant avec une précision milimétrée le périmètre d’intervention de l’Etat d’Urgence.

Afin que jamais plus l’Etat ne puisse se moquer de nos droits. De nous.

Ariel DAHAN
Pour 2Kismokton

Déserts médicaux : Rôle de l’Etat et des Médecins dans les secours d’urgence?

Rencontre Hélicoptère / Véhicule de Soins aux BlessésDéserts Médicaux : rôle structurant de l’Etat ou rôle protecteur des médecins?

L’information est récente. Elle est navrante et nous laisse tous dans un désarroi insurmontable: une femme enceinte a perdu son enfant en route vers la maternité de niveau 3 distante d’une heure de voiture, sur la route.

Les faits sont d’une banalité navrante: La jeune mère, enceinte de sept mois, sortait d’une consultation chez son gynécologue à Figeac  (Lot). Celui-ci constatait l’état de sa patiente, et le risque d’accouchement prématuré imminent. Il lui conseillait de se rendre sans délais à la maternité.
Selon « La Dépêche » qui a couvert les faits, la jeune parturiente avait le choix entre 4 maternités de niveau 3 adaptées à un accouchement à risque. Elles étaient toutes distantes d’une heure de route de Figeac. (Voir également le Huffingtonpost).

La victime s’est donc acheminée par ses propres moyens vers Brive, conduite par son compagnon, par l’autoroute. Et l’accouchement s’est déroulé en voyage, sans aucune médicalisation possible. Le SAMU, appelé après l’accouchement, a constaté le décès du nourrisson.

Les réactions politiques qui ont suivi me paraîssent terriblement inadaptées et montrent bien que la classe politique, protégée des risques de la vie quotidienne, est incapable de comprendre les besoins des citoyens en matière de santé publique et de risque médical.

Le Président Hollande demande l’ouverture d’une enquête administrative! Pour apprendre quoi? Qu’il n’y a plus de maternité à Figeac? Que les délais d’accès aux soins sont inégaux selont les départements? Par essence il en a conscience, puisqu’il en a fait une proposition pour son programme électoral – que les soins soient accessibles à moins de 30 minutes!

Très courageuse, Tweetveiller s’empressait de reprendre l’information sur son tweet. On imagine à quel point celà doit aider!!!

Une situation connue et documentée:
Et pourtant la situation est connue. Les journaux et les associations de défense des consommateurs publient régulièrement une liste de l’état des soins par département. Tous les professionnels savent que certaines régions n’ont aucun moyen de permettre à leurs citoyens d’accéder aux soins d’urgence. A chaque fermeture de maternité, les manifestations se multiplient, et les conclusions sont identiques : il faut attendre l’accident insoutenable pour pouvoir mettre en cause les services publics.

Faillitte du service public de la santé: En l’occurence, mise en cause il doit y avoir! Le service public de la santé a gravement manqué, en n’organisant pas les moyens d’accès aux soins aux citoyens, spécifiquement après avoir imposé la fermeture des petites maternités locales.

Faillite des soins de ville: Enfin, le médecin aura gravement manqué à ses devoirs, s’il est établi qu’il avait conscience du risque et de l’urgence, mais qu’il a laissé sa patiente quitter son cabinet nonobstant cette urgence, sans prévoir une prise en charge adaptée. Il n’est pas possible, pour un professionel de santé, de se dédouaner de sa responsabilité en diagnostiquant le risque et l’urgence, et en conseillant au patient de se diriger par ses propres moyens vers le centre médical adapté le plus proche. Le minimum qu’on aurait pu attendre de lui eut été de joindre le centre de coordination des secours et de requérir une prise en charge médicalisée.

Ainsi le Code de Déontologie des Médecins dispose:

Article 9 (art. R.4127-9 Code Santé Publique) Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires.

Y avait-il péril? Certainement puisque le médecin diagnostique un risque d’accouchement imminent, donc prématuré, donc un péril pour l’enfant à naître. Donc violation des obligations déontologiques.

Face à de tels drames, et à leur caractère aussi prévisible, on ne peut que grincer des dents, et espérer que les sanctions rendues par les juridictions administratives ou civiles permettront de limiter ces prises de risque inadmissibles.

Ariel DAHAN

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