Violer c’est quand on veux pas!

Violer c’est quand on veux pas. Moi, je voulais bien!

Coluche – Sketch Monique

Certains fait divers bousculent les notions qu’on pensait acquises. Ainsi de la définition du viol, qui jusqu’à présent ne faisait pas de doute.

L’article 222-23 du Code Pénal, dans sa dernière rédaction, dispose que

Art. 222-23 : Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Code Pénal

Selon les évolutions législatives, le corpus du viol (l’acte proprement dit) a pu changer, et l’acte a été étendu au viol conjugal, qui a pu être considéré comme naturel à une époque (révolue) où la femme avait fort peu de droits. Mais il a toujours existé un élément constant dans la définition du viol, celui de l’absence de consentement de la victime.

La loi définit ainsi le viol lorsque la victime y est soumis(e) par

  1. violence (le consentement est manifestement non-requis)
  2. contrainte (le consentement est arraché par des moyens complexes, psychologiques ou autrement)
  3. menace (le consentement est empêché par la menace de mort, de violence ou autre, sur soi même ou sur autrui)
  4. surprise (la plupart du temps le sommeil de la victime, mais aussi de plus en plus le changement de partenaires dans le noir, voire même le fait de retirer son préservatif au dernier moment, qui peut être considéré comme un viol par surprise).

Dans le cas récent qui défraie actuellement la chronique judiciaire, de cette femme droguée et donnée en viol à 50 clients de son mari pendant plus de 10 ans, la question du consentement ne se pose même pas. Nous nous plaçons de toute évidence dans la situation d’un viol par surprise. Le consentement de la victime n’a jamais été sollicité. Il n’a pas non-plus été forcé. A priori, et sans participer aux procès, je peux imaginer que ce débat a été purgé dès l’ouverture du procès.

La défense classique sur un viol, hors défense de procédure, se limite de fait aux seuls éléments constitutifs :

  • les faits (pénétration sexuelle ou relation bucogénitale)
  • le consentement (de la victime)

Intention criminelle : Il manque dans cet acte criminel volontaire un élément constitutif, qui n’est pratiquement jamais recherché et qui n’existe pas en fait : l’intention criminelle (le fameux « moi je voulais bien » de Coluche).

De fait, la définition même du viol exclut de rechercher l’intention criminelle de l’auteur. A aucun moment cette intention n’est recherchée. Pire, si l’auteur est dans un état de conscience altérée par des produits (alcool, stupéfiants), l’absence d’intention devient même un élément aggravant qui ajoute 5 ans de réclusion criminelle selon les termes de l’article 222-24 12° du Code Pénal

Le viol défini à l’article 222-23 est puni de vingt ans de réclusion criminelle :
12° Lorsqu’il est commis par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants ;

Art. 222-24 Code Pénal

Jugez donc de ma stupeur, en apprenant qu’un avocat des prévenus avait tenté de distinguer « viols et viols », et de considérer que l’absence d’intention de viol de la part de ses client pourrait valoir sinon exonération à tout le moins une quelconque mansuétude! Quoi ? Coluche aurait eu raison ? 2Kismokton!

Non pas que le débat sur l’intention criminel ne soit pas interdit dans la défense d’un viol. L’intention de contraindre ou de violenter peut être débattue. La question de la connaissance du refus de la victime par l’auteur peut être discutée. Y a t’il ou non intention de contraindre? Le comportement de l’auteur doit-il automatiquement être considéré comme une volonté de contraindre? Comme une volonté de menacer?

La jurisprudence donne généralement un angle de réponse : la menace s’apprécie in abstracto, par rapport à celui ou celle qui la ressent, et non par rapport à celui ou celle qui est supposé l’appliquer. Il en est de même pour la contrainte. Dans certains cas on pourra discuter de la réalité de la violence, et de l’intentionnalité de celle-ci (notamment en cas de jeux érotiques violents, où les deux parties acceptent un niveau de violence comme mode d’excitation). Ces situations sont rares et doivent en toute hypothèse être prouvées par la défense.

Mais s’il est situation qui devrait échapper au débat sur l’intention, c’est bien celle de l’absence de conscience de la victime, qu’elle fut inhibée par un excès d’alcool au sortir d’une soirée trop arrosée, droguée à la drogue de vétérinaire, ou endormie du sommeil du juste… Et des situations de viol conjugal dans le sommeil, j’en ai rencontré un grand nombre de cas, avec une grande difficulté de rapporter la preuve!

Mais dans ce cas précis, d’une femme dont l’absence de conscience ne semble laisser aucune place au doute, la question de l’intention ne devrait même pas être posée. Le fait que le « client » ait pu être induit en erreur par le mari abuseur sur l’acceptation des faits par la victime ne devrait pas être un mode de défense recevable en droit.

Même si la mythologie et l’art évoquent un nombre hallucinant de femmes lascives nues et endormies, tout le monde fait la différence entre Danaé violée (par Zeus – encore lui) pendant son sommeil telle que peinte par Gustav Klimt et la femme endormie de Gustave Courbet. L’une (Danae) s’est endormie chaste, alors que l’autre s’est endormie « après » ce qui explique sa nudité lascive… D’un Gustave à l’autre, l’histoire n’est pas la même et le traitement judiciaire diffère. La dernière a consenti (on le suppose, les draps étant bien défaits) alors que la première ignore ce qui lui arrive.

Mme Pelicot est-elle la Danae des temps modernes? Ce serait faire trop d’hommages à son (ex?) époux qui n’a rien de divin. Mais incontestablement son abandon chaste est total. Elle n’a aucune capacité d’exprimer le moindre consentement puisqu’on ne le lui demande pas!

C’est là le nœud de l’histoire moderne! Les joyeux violeurs qui se sont succédés sur son corps endormi n’ont jamais questionné sa capacité à les accepter. C’est bien dire qu’il s’agit d’une « surprise », au sens légal du terme. Contrairement à la menace qui s’apprécie in-abstracto, la conscience s’apprécie in-concreto. Son absence de conscience manifeste interdit aux auteurs de se disculper par l’absence de volonté criminelle. Car cette volonté criminelle n’a pas à être interrogée, faute précisément d’avoir recherché la capacité de la victime d’accepter la relation sexuelle.

En d’autres termes, plaider l’absence de volonté criminelle revient à plaider le sketch de Coluche. « Moi, je voulais bien. » On n’en a jamais douté qu’ils étaient volontaires!!!

C’est tout à l’honneur de Me Béatrice Zavarro, avocat du mari instigateur de ces viols, d’avoir rejeté cette défense et d’avoir affirmé haut et fort que « un viol c’est un viol »

Soit il y a un viol, soit il n’y a pas de viol. On ne peut pas dire que le viol n’existe pas si on n’a pas eu l’intention de le commettre. Un viol reste un viol.

Me Béatrice ZAVARRO au micro de BFM

Il faudra évidemment suivre l’évolution de cette procédure, savoir notamment comment la Cour Criminelle analysera la défense des inculpés et comment elle la recevra ou la réfutera. J’exerce dès maintenant mon droit de suite. Non pas par plaisir malsain mais par nécessité judiciaire. Une défense est une défense, et ce qui est valable pour l’un doit également être valable pour les autres.

Ariel DAHAN, le 11 septembre 2024 pour 2Kismokton